En ce mois d’avril 2025, nous publions le monologue d’Olivier Marboeuf, La Nuit juste avant le feu, qui vient rejoindre le monologue À l’arrivée, la vie de Mélissa Béralus, paru il y a maintenant deux ans.
Il y a bien des différences entre les deux œuvres. Le personnage féminin du texte de Mélissa Béralus libère une parole depuis l’intérieur du foyer conjugal, lieu de violence et d’humiliation, alors que le personnage masculin d’Olivier Marboeuf, étranger sans papiers, hèle un inconnu qu’il investit du titre de camarade depuis une rue d’une grande métropole d’Europe, lieu de son exclusion sociale de par son statut et de par sa peau ; Mélissa Béralus a écrit une œuvre en vers libres alors qu’Olivier Marboeuf, s’inspirant et prenant comme point de départ La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, propose un monologue constitué d’une seule et même longue phrase –, mais la possibilité théâtrale les rassemble. Ainsi qu’un propos commun autour de la révolte et du retournement de la violence. La parole comme prise d’élan. Le discours que l’on tient pour l’Autre autant qu’à soi-même vient expliquer et annoncer l’action qui s’ensuit. Et au bout de la parole, le feu. Flammes du réchaud sous l’huile qui bout de la colère contenue pendant 25 ans par l’épouse qui s’apprête à punir le mari violent. Feu de l’émeute dans la ville du Nord qui a histoire nouée avec les insurrections incendiaires des peuples colonisés du Sud. Dans les deux textes, le refus du dominé de demeurer victime et la mise en œuvre ou l’élaboration d’une libération « par tous les moyens nécessaires ».
Cette communauté littéraire entre le monologue « afrodélirant » d’Olivier Marboeuf, plus longuement présenté ci-dessous sur cette même page (lire notamment les bonnes feuilles ou le dossier de presse), et le monologue féminin de Mélissa Béralus confirme la construction patiente d’un catalogue donnant la plus grande part à des écrivains de la Caraïbe et de sa diaspora.
C’est dans cette optique que paraissent, ce même mois, les recueils poétiques Novas Glórias d’Andy Davigny Péruzet et Je suis un ara de Daniel Pujol dont les lancements se font respectivement en Guadeloupe (médiathèque de Pointe-à-Pitre le jeudi 24 avril et médiathèque du Moule le vendredi 25 avril pour Novas Glórias) et en Martinique (date à préciser pour Je suis un ara).
Novas Glórias est un chant tout en sincérité qui tourne le dos à l’assignation au pays fantasmé pour habiter les deux rives de son imaginaire. Poète perdu entre les Suds et le Nord, Andy Davigny Péruzet
y déploie une langue dont le souci de la beauté lui sert à dire une époque où l’avenir est un abîme.
Les lecteurs franciliens pourront écouter Andy Davigny Péruzet en lire des extraits et parler de son travail poétique le vendredi 6 juin à 19 h à la librairie Calypso (Paris 14e).
Je suis un ara, titre du texte principal de l’ouvrage, entremêle les illustrations de l’artiste Ricardo Ozier-Lafontaine à des poèmes, courts récits et aphorismes du poète Daniel Pujol qu’il déplie dans un espace de villes, de savanes et de jungles s’étendant entre Bélem, New York et Santo Domingo. Créole d’Haïti et portugais du Brésil viennent s’immiscer dans une langue française enfiévrée qui peint le règne du vivant à travers des métamorphoses et des dialogues avec le monde animal. Entre choses silencieuses et mots infinis qui heurtent les meubles du monde, Daniel Pujol tente d’insuffler présence humaine dans l’ordre du monde habituel.
Aux livres de ces deux auteurs vient s’ajouter Corps libres, un ouvrage collectif qui – sous la direction littéraire de Sylvia Saeba et Lyonel Trouillot, la direction artistique d’Eloïse Philippon et avec des illustrations de Jeudinéma, Shedler Lindor et Eloïse Philippon –, regroupe des poèmes et textes courts d’auteurs déjà célèbres (Georges Castera, Syto Cavé, Ananda Dévi, Jeudinéma, Chantal Kénol, Évelyne Trouillot, Lyonel Trouillot) et ceux de voix nouvelles ou émergentes qui se font entendre depuis la Guadeloupe, Haïti et la Martinique. Corps libres poursuit l’expérience initiée par le recueil Chambres paru en 2024 : publier de la littérature vivante et inventive qui bouscule les formes et s’exprime par le biais du collectif.
En librairie le 10 avril 2025
La Nuit juste avant le feu
La Nuit juste avant le feu, c’est la longue et unique phrase du monologue délirant d’un type à la peau noire-bleue qui en hèle un autre dans la rue d’une grande ville d’Europe.
À partir de la pièce de Bernard-Marie Koltès, La Nuit juste avant les forêts (Éditions de Minuit, 1977), Olivier Marboeuf crée un autre texte dans lequel l’écho des révoltes passées enfante les insurrections futures. La prochaine fois, l’émeute.
«… nos monuments sont partout,
absolument partout,
au fond de la mer
et dans les quartiers sans lumière
où gémit le Rabòday,
sur les murs défoncés de Pointe-à-Pitre…
les femmes folles à la peau noircie de sucre
qui errent
en racontant des histoires à dormir debout
sur la savane de Fort-de-France,
ce sont nos monuments,
les vieilles transformées en loup-garou aussi,
les mecs en ruine, la peau brûlée par le sel,
qui répètent toujours le même poème,
ce sont nos monuments…»
Olivier Marboeuf est auteur-conteur, artiste, commissaire d’exposition et producteur de cinéma. Originaire de Guadeloupe, il est aujourd’hui l’une des voix fortes, à la fois poétique et politique, de la scène décoloniale francophone. Il a publié, aux Éditions du Commun, l’essai Suites Décoloniales : s’enfuir de la plantation et le recueil de poésie Les Matières de la Nuit.

Ainsi le poète Andy opère-t-il une véritable méta-morphose par le processus de l’abandon des métaphores mortes, éculées et de l’élaboration des métaphores vives. Andy illustre de la sorte sa notion de la poésie qui exclut toute exotification telle qu’elle est pratiquée par les auteurs
occidentaux et imitée par les poètes « ultramarins », celle qui s’est selon Glissant, constituée autour de la topique de la source et du pré. La contre-poétique d’Andy prend sa source dans un paysage improbable, dans l’intranquillité d’une chronique blasée mais désespérée de la vie
ordinaire et banale.
En librairie le 10 avril 2025
Novas Glórias
Novas Glórias, un long poème porté par une voix singulière qui rompt avec l’assignation au pays fantasmé pour habiter les deux rives de son imaginaire. Résonne alors un chant sincère qui abandonne les mondes anciens et la grandeur violente du passé pour la banale modernité, celle « où il nous faut tomber à plat ventre à s’en écorcher le nombril parce qu’est venu le temps d’être à terre et d’ignorer les étoiles ». Poète perdu entre les Suds et le Nord, traversé par des chants inconnus, des envies de musique et de feu, Andy Davigny Péruzet déploie une langue dont le souci de la beauté lui sert à dire une époque de lendemains qui déchantent, dans laquelle l’avenir est un abîme. Demeure la volonté de faire brèche.
« Ôtons le soleil, les cieux, l’horizon
Les ombres, le silence et l’amour
Oublions vents, mers et regrets
La beauté, le jour, l’écho de ces lumières
Autant de feuilles pâlies, de flétrissures mort-nées qui accablent
les poèmes
Et arasent les mots promis à plus haut
Alors, que bavent ici les voyelles bleues des mers du sud
Babines palies,
Ouvertes au cri, à l’absence de sens !
Alors, que se livrent aux secrets alentour, innocentes et charnues, les lèvres gaies des soirs d’été !
Il y a par là
D’occultes blandices nées d’intuitions aiguës
Il y a par là
Ce qui n’a laissé nulle trace, ô fantasques jubilations !
Il nous faut
Des mondes insoumis aux lendemains qui déchantent
Il nous faut
Faire brèche dans les avenirs trop sûrs »
Né en Guadeloupe où il a grandi jusqu’à l’âge de 12 ans, Andy Davigny Péruzet a passé son adolescence en baie de Somme avant de poursuivre des études scientifiques à Paris. Il a déjà publié deux recueils poétiques : Physiques, paru en 2019 aux éditions Maïa, et Intravagances et autres bleus aux murs paru en 2023 aux éditions Stellamaris.
